Marine et migrants janvier 2015

Marine et migrants, janvier 2015

 

 

Une autre forme de piraterie : le transport maritime des migrants

 

 

Il y a toujours eu des migrants, dès l’antiquité : les îles de la Polynésie sont peuplées de gens originaires du sud-est asiatique, sans que l’on sache pourquoi ils ont fait ce périple périlleux à bord de frêles embarcations.

Plus récemment, de nombreux cubains et de sud-vietnamiens ont fui un régime autoritaire en embarquant dans des bateaux de pêche, souvent en mauvais état.

Mais les bateaux étaient en général pilotés par leur propriétaire et menés à bon port dans la mesure du possible, le « capitaine » et sa famille faisant souvent partie des émigrants.

Mais maintenant, nous assistons à des mouvements totalement différents.

 

Qui sont-ils ?

Au début, il s’agissait principalement de gens fuyant la misère et la sécheresse. Des habitants du Sahel allaient jusqu’au Maroc et tentaient de gagner les enclaves espagnoles ou la zone de Tanger, en quête d’un embarquement, payant certes, risqué, certes, mais où les passeurs avaient néanmoins pour but de les mener vers les côtes espagnoles, près de Gibraltar.

Moins connue, la migration des Éthiopiens et des Érythréens vers le Yémen, dans les années 1990, déjà dans des conditions plus douteuses.

Depuis maintenant plusieurs années, on assiste à des mouvements beaucoup plus importants : au cours des trois dernières années, ce sont plusieurs centaines de milliers de migrants qui sont jetés vers les côtes italiennes, qui sont les plus proches des ports d’embarquement dont la plupart sont en territoire libyen, où il suffit de payer la milice qui contrôle l’endroit pour que personne ne pose de questions.

Accessoirement, malgré une politique officiellement contraire à ce genre de crime, certains ports turcs servent également de point de départ.

Mais il ne s’agit plus de fuir la misère ; pris entre des dictatures, gouvernementales ou pas et des soi-disant «califats » ou autres « états » islamiques, tous ceux qui le peuvent fuient. Il s’agit tout simplement de leur vie ; et ceux qui ont les moyens de payer appartiennent aux professions libérales ou sont commerçants. Plus rien à voir avec les miséreux du début. Il y a bien encore quelques réfugiés d’Afrique noire, ayant péniblement rassemblé l’argent du voyage auprès des membres de leur famille, mais ils ne représentent plus qu’une petite partie de ce trafic humain, car c’est bien de ça qu’il s’agit.

 

Le voyage maritime

Il commençait naguère par l’entassement dans un vieux bateau de pêche, trop chargé, et dans des conditions sanitaires épouvantables, avec peu d’eau et de nourriture. Néanmoins, ils arrivaient très près des côtes et pouvaient être récupérés par les garde-côtes italiens. Les passeurs repartaient ensuite, parfois sur le même bateau, pour aller recharger d’autres passagers.

Il y a environ deux ans, la « technique » a changé : on renonce à la réutilisation du bateau, qui sera  simplement abandonné à des dizaines de milles de la côte, moteur en panne, faute de carburant ou ayant rendu l’âme, et les passeurs se faisant récupérer par un bateau plus petit l’ayant suivi.

Depuis quelques semaines, ce sont des petits cargos qui sont utilisés, chargés, même surchargés de centaines de malheureux, dont certains meurent pendant le trajet, étouffés en fond de cale.

Le bateau est lancé à fond vers la côte, moteur bloqué, sous pilote automatique et les passeurs quittent le navire, toujours récupérés par des complices.

 

Une organisation de type mafieux

Comme pour la piraterie, ce qui a commencé par des méthodes « artisanales », si on ose employer ce mot, passe ensuite au stade « industriel ».

Les sommes demandées vont jusqu’à 8 500 dollars par personne et un seul voyage peut rapporter –selon les médias- près de trois millions de dollars. Enlevez environ 200 000 dollars pour un vieux rafiot qui ne peut même plus être vendu au déchirage en Inde (frais de transit par le canal de Suez trop onéreux et –de toute façon- les autorités égyptiennes refuseraient son transit vu son état pitoyable)

Ils sont en général démunis de certificat de navigabilité, ce qui exigerait l’usage d’un remorqueur dont le coût pourrait avoisiner les 100 000 dollars pour la livraison à un chantier de démolition en Turquie.

Quelques milliers de dollars pour les soutes (on calcule au plus juste, quelquefois même trop juste et le bateau reste en pleine mer, à court de carburant)

Pour quelques milliers de dollars, on peut créer une société dans un pays peu regardant et immatriculer le bateau dans un autre, encore moins regardant (Moldavie, Sierra Leone…) et même se procurer de faux certificats, tant pour le bateau que pour ses marins/pilotes.

Certaines maisons de courtage, peu scrupuleuses, n’hésitent pas à s’occuper de la transaction. On peut même trouver ce genre de bateau sur Internet…et même sur « e-bay » !!!

La fameuse « économie d’échelle » a également gagné ce secteur !

 

Les techniques du XXIe siècle

Comme la piraterie en Somalie, les petites opérations du début ont vite été remplacées par des organisations bien structurées, maintenant contrôlées par des gens ayant fait des études, avec souvent une « couverture » officielle, des relations à haut niveau et une excellente connaissance des transferts bancaires « offshore », faits avec tous les moyens de communication disponibles.

Si la technologie est bien au service du progrès, elle est aussi –hélas- au service des criminels…

Ces gens-là sont, même brièvement, armateurs. On en a honte pour la profession !

 

Sébastien d’Aurade

Janvier 2015

 

 

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