Le GNL sera-t-il le sauveur involontaire des armateurs ?

Le GNL (Gaz Naturel Liquéfié) sera-t-il le sauveur involontaire des armateurs ?

Examinons un peu les statistiques, desquelles on peut certainement déduire n’importe quoi, mais qui peuvent être fort utiles si on sait les analyser.

 

Petit retour en arrière

 

Ceux d’entre vous qui étaient en activité dans le milieu des années 1980 s’en souviendront : les taux de fret étaient désastreux, surtout au pétrole ; les frets ne couvraient même pas le prix des soutes. Les plus gros pétroliers étaient utilisés comme dépôts flottants et les navires à la chaîne formaient de véritables cités sur l’eau dans certaines baies ou fjords.

Cependant, contre toute attente, quelques détails « clochaient » et peu d’entre nous avaient su en tirer les conclusions qui s’imposaient :

Le groupe hôtelier américain Hyatt achetait quatre VLCC récents, à 5 millions de dollars pièce, prix dérisoire à l’époque, où bien souvent des navires en très bon état étaient vendus à la ferraille car le prix de la tonne d’acier était plus intéressant que le marché de l’occasion.

Que diantre voulait-il en faire ? S’il est relativement facile d’utiliser un paquebot en fin de vie pour qu’il serve d’hôtel, la transformation d’un grand pétrolier à ces fins n’a aucun sens, ni commercial, ni financier…

Au cours d’un voyage en Grèce, l’avion dans lequel se trouvait un des (nombreux)  rédacteurs de MARINFOS  survolait avant d’atterrir à Athènes la baie de Skaramangas et il pouvait apercevoir par le hublot des centaines de navires à l’ancre.

Le lendemain, en rendez-vous dans une société du groupe Onassis, il demandait à son interlocuteur si les navires en question –en majorité des pétroliers- avaient une chance de reprendre la mer un jour.

Sourire, haussement d’épaules « pensez-vous, ou bien ils ne sont pas équipés d’un système « gaz inerte » (indispensable pour éviter les explosions dûes à l’accumulation de gaz de pétrole, hautement explosifs) ou bien ils ont encore des moteurs à turbine, maintenant trop coûteux par rapport aux moteurs diesel, beaucoup moins gourmands »

De retour à son bureau, notre homme appelle un de ses amis, responsable d’un service affrètement d’un grand groupe pétrolier qui lui confirme que les « grands » de la profession ne sont plus intéressés par les « turbinards », encore moins par ceux qui ne sont pas équipés pour neutraliser les gaz.

Après quelques études sur les statistiques disponibles, il en était vite arrivé à la conclusion suivante :

-Si on déduit du chiffre qui « pèse » sur le marché, les pétroliers qui ne reprendront probablement plus jamais la mer, il n’y a pas de surplus.

Hors, il n’y en n’avait à l’époque que quatre en construction : deux au Japon et deux en Corée du Sud.

Une conversation avec un courtier d’affrètements lui apprend que le directeur financier d’Hyatt  était avant au service financier d’un gros groupe pétrolier américain.

Il s’agissait donc d’une pure spéculation à la hausse, qui devait se confirmer environ un an plus tard, par la vente des pétroliers, mais à 20 millions pièce, ce qui faisait un très joli bénéfice.

En 18 mois, on était passé d’un grave marasme à une importante pénurie ! (on avait même vu  un armateur revendre fort cher une option de commande !)

L’histoire se répétant, l’euphorie des années 2000 a clairement montré que nombre d’armateurs n’avaient pas retenu les leçons du passé : commandes pléthoriques, mais la bulle financière éclate en 2008, entraînant au passage les autres secteurs de l’économie mondiale. L’ennui est que les armateurs étant restés raisonnables ont été autant pénalisés que ceux qui avaient trop commandé de tonnage neuf, car la dégringolade des taux de fret touche aussi bien les bons que les mauvais…

 

 

Trente ans plus tard, peut-on assister à quelque chose de plus ou moins similaire ?

 

Pourquoi pas !

Deux éléments importants à prendre en compte :

 

-Les exigences des pays, quelquefois par parlement imposé (celui de l’Europe est riche en écolos, mais pauvre en armateurs, pas représentés du tout)

Nous savons déjà que le parlement Européen  a voté pour que les émissions de soufre en Manche, Mer du Nord et Baltique n’excèdent pas 0,1% en 2015, ce qui est très peu et –actuellement difficile à obtenir avec les combustibles classiques. Le reste des zones européennes, pour se conformer aux décisions de l’OMI adoptées en 2008, ne devra pas excéder 0,5% en 2020

Les États-Unis ont imposé les double-coques pour tous les pétroliers allant dans leurs eaux territoriales, malgré les avertissements sur le danger potentiel représenté (accumulation de gaz entre les deux parois)

Ce qui a eu pour effet de mettre hors circuit une partie de tonnage.

Reste à savoir s’ils seront aussi exigeants pour les combustibles des navires, alors qu’ils ne le sont que peu pour leurs industries polluantes…

Nous sommes donc dans une situation où les armateurs se voient imposer des conditions pas toujours très réalistes, mais décidées par des gens qui ont un pouvoir souvent régalien.

 

-La préférence marquée par les utilisateurs, pays ou industriels, pour le Gaz Naturel Liquéfié (GNL)

S’il est certain que son utilisation demande des compétences techniques particulières, tant pour son stockage à terre et à bord et comme combustible de propulsion, les contraintes et exigences de sécurité sont maintenant parfaitement maîtrisées ; le dernier numéro de la Gazette de la Chambre Arbitrale Maritime de Paris mettait avec raison l’emphase sur son avenir, tout comme un récent rapport du Lloyd’s Register.

Certains motoristes ont déjà mis au point des engins fonctionnant uniquement au GNL, en service pour l’instant sur des bateaux de taille modeste, mais les gros moteurs sont déjà en route. STX France et Brittany Ferries ont un navire à l ‘étude, avec une propulsion au GNL. Un peu partout dans le monde, les projets voient le jour, certains déjà très avancés.

De plus en plus de pays producteurs exportent maintenant leur gaz. Les cuves d’abord utilisées en 1965 pour un transport expérimental de Conestock (Louisiane) sur Convey Island dans l’embouchure de la Tamise ont été modifiées. Les premiers affrètements commerciaux ont été réalisés en Algérie (Arzew) à partir de 1964 avec les techniques françaises (notamment «cuves à membranes ») de Gaz Transport (groupe Worms), et un pionnier comme  Gazocéan, armement fondé par René Boudet.

Les matériaux composites maintenant utilisés ont permis de passer -là aussi- au gigantisme, principalement avec le Qatar, premier exportateur mondial de gaz liquéfié.

Verra-t-on un jour les pétroliers disparaître au profit des méthaniers ?

Probablement, les réserves de gaz, y compris celui dit « de schiste », diffus dans les roches, sont bien supérieures aux réserves de pétrole, « offshore » compris (il y a aussi des réserves sous-marines de gaz)

On assiste déjà à une modification des flux de transport : d’importateur net, l’Amérique du Nord est en train de devenir exportateur, y compris en GNL…

Pour le reste, il s’agira de chimiquiers et de citerniers spécialisés ; exit les pétroliers ? Bien possible ! (d’autant plus que les pays producteurs deviennent progressivement des pays raffineurs)

 

 

Les armateurs vont-il suivre ?

 

Sans doute et par la force des choses.

La donne va certainement changer dans les transports maritimes ; le tout est de savoir dans combien de temps.

Certains se sont déjà spécialisés dans les méthaniers et ont moins souffert que les autres de la dégradation des taux de fret.

Mais, pour le gros des armateurs, quel que soit le type de navires qu’ils possèdent, il y aura « de la casse » aux sens propre et figuré dans les années à venir.

Ceux qui ont une certaine capacité de financement commanderont des navires neufs, équipés de moteurs idoines.

Mais les banques sont en ce moment très réticentes pour financer le secteur maritime ; beaucoup ayant été échaudées par des impayés importants, il faudra probablement du temps pour qu’elles accordent des prêts comme elles le faisaient au début des années 2000.

Ceux qui ont des navires récents y feront apporter les modifications nécessaires (mais l’opération a un certain prix et n’est probablement pas rentable sur des navires anciens)

Ceux qui n’en n’ont pas les moyens vendront au déchirage où les utiliseront en trafic tertiaire, d’un pays peu exigeant en matière de pollution, à un autre pays aussi peu exigeant. (L’Iran pourrait en profiter)

Quoi qu’il en soit, c’est probablement par le GNL que viendra l’assainissement, de l’air …et du surplus de tonnage.

Il se pourrait très bien que l’on assiste à une ruée vers les chantiers, justifiée ou pas !

L’histoire est un éternel recommencement, pour le maritime comme ailleurs.

Reste à « miser » dans le bon sens…

 

À suivre…

 

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