La curieuse stratégie de certains armateurs

La curieuse stratégie de certains armateurs

 

 

Malgré des taux de fret extrêmement bas dans presque tous les secteurs, les armateurs continuent à commander du tonnage neuf, comme si de rien n’était.

Pourquoi ?

Y a-t-il une stratégie derrière cette politique d’achats ?

 

Le surplus est bien là

 

À l’exception de certains secteurs (GNL, produits raffinés « blancs », offshore…) les navires en circulation sont trop nombreux pour assurer à beaucoup d’ armateurs des taux de fret pouvant couvrir la totalité de leurs dépenses, amortissement compris ; ne parlons pas des bénéfices…

On pourrait donc penser qu’ils s’abstiendraient d’en commander d’autres, attendant patiemment que les navires envoyés au déchirage rétablissent un équilibre salutaire.

Hors, il n’en n’est rien : on l’a vu récemment, des « poids lourds » de l’armement continuent à commander, quelquefois sciant la branche sur laquelle ils sont assis.

 

Profiter d’une aubaine du côté des chantiers

 

Après avoir grimpé pendant des années, qui correspondaient à l’extraordinaire développement de la Chine, les prix des chantiers (presque tous en Extrême-Orient) se sont effondrés, obligeant ces derniers à consentir des rabais importants pour pouvoir survivre (certains -notamment en Chine- ont même dû mettre le clé sous la porte)

Pour survivre, les survivants offrent des conditions particulièrement attrayantes, comme par exemple se contenter d’un simple acompte de 5% à la commande et des paiements échelonnés et fractionnés pour le reste, à mesure de la progression de la construction.

 

Et les banques dans tout cela ?

 

« Chat échaudé craint l’eau froide », dit le proverbe. On retrouve l’habituelle frilosité des organismes de crédit, lorsque la conjoncture leur a fait faire de mauvaises affaires. Les banques allemandes ont particulièrement souffert d’impayés de la part des fameuses « KG » d’investisseurs. Elles y reviendront, mais pas tout de suite.

En attendant, qui finance, indirectement certes, les constructions neuves ?

Eh bien les chantiers : sans prêter de l’argent aux armateurs, ils assurent de facto ce financement en consentant d’exceptionnelles conditions, permettant aux donneurs d’ordres de commander…sans payer tout de suite, donc  l’équivalent d’un prêt.

Le géant  Cosco, dont l’état est le principal actionnaire,  va louer une bonne partie de sa flotte…à la banque d’état chinoise Ex-Im Bank qui en sera désormais la propriétaire.

 

Qui commande, et pourquoi  ?

 

Eh bien un peut tout le monde.

Parmi les plus visibles, certains armateurs au pétrole, dont le groupe Frontline, de l’armateur norvégien « Big John » Fredriksen et les géants du conteneur Maersk et CMA-CGM. Il y a quelques mois,  Marinfos s’était posé la question sur la stratégie de M. Fredriksen, qui -en plein marasme, commandait 16 pétroliers. La semaine dernière, il annonçait une perte importante pour Frontline. Il s’agissait donc de pure spéculation ; et M. Fredriksen de regretter une situation de surplus…qu’il a contribué à créer ! Maersk annonce vouloir renouveler sa flotte (qui pourtant n’est pas ancienne) pour la remplacer par des navires plus performants et plus économiques.

CMA-CGM  commande encore des mastodontes, alors les taux de fret entre l’Europe et l’Extrême-Orient n’ont toujours pas repris un niveau satisfaisant.

Navires neufs pas chers, on achète et on verra après…

 

Vente = assainissement ?

 

Pas sûr !

Si les navires vendus vont au déchirage, ils ne pèsent plus sur le marché et c’est une bonne affaire. Mais pour l’instant, le prix de la tonne d’acier ayant baissé, beaucoup d’armateurs préfèrent se débarrasser du tonnage à liquider sur le marché de l’occasion, en ce moment assez soutenu.

Et qui va acheter ?

Leurs plus modestes concurrents, qui bien que récupérant des bateaux moins économiques, auront des charges d’amortissement bien inférieures (n’oublions pas que la plupart de ces navires avaient été payés au prix fort) et continueront donc à leur faire du tort. Le but des gros, notamment dans le conteneur,  est clair : éliminer ceux qui font du cabotage d’appoint (feedering) pour prendre leur place.

Ça marchera…peut-être !

Le seul grand du secteur à s’abstenir dans la course à la commande est MSC ; c’était déjà celui qui s’en était le mieux sorti dans la crise née en 2008.

L’ennui est que le surplus de tonnage agit sur les frets et que ceux qui se sont prudemment abstenus de commander souffrent autant que leurs concurrents qui ont provoqué le marasme.

Les ténors de l’armement espèrent sans doute avoir des finances plus solides que les petits et, en tenant plus longtemps, les obliger ainsi à « plonger »

 

C’est néanmoins risqué, très risqué !

 

Sébastien d’Aurade

Rédacteur en chef

MARINFOS

080613

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