L'Iran armateur. Les conséquences des sanctions

L’Iran armateur : touché, mais pas coulé = les conséquences maritimes des sanctions

 

Les sanctions sont-elles efficaces ?

 

Oui, mais seulement dans une certaine mesure et selon la richesse du pays concerné. Les précédents ne manquent pas : elles ont été efficaces à Cuba, leur puissant voisin y ayant particulièrement veillé, malgré l’aide de l’Union Soviétique, et maintenant de la Chine.

Lors du boycott le la Ligue Arabe, les américains ont augmenté leur aide à Israël qui n’en n’a pas souffert. Pendant l’apartheid, l’Afrique du Sud n’a manqué de rien, pas même de pétrole et son économie était la plus florissante du continent africain. On paie plus cher, c’est tout.

De nombreuses sociétés ou officines, souvent installées en Suisse, se sont fait une spécialité de contourner les différents embargos, estimant que le risque encouru valait largement les importants bénéfices réalisés.

Cependant, les capacités de raffinage et de transformation sont affectées en raison de divers problèmes, principalement celui de l’approvisionnement en pièces de rechanges, plus chères et plus difficiles à obtenir.

L’Iran poursuivra probablement son programme nucléaire, quitte à  le faire au détriment d’autres programmes, y compris ceux consacrés au bien être de ses citoyens.

Selon le World Factbook de la CIA, il tirait en 2010 environ 81 milliards de dollars de ses exports de produits pétroliers. Les prévisions pour 2012 sont inférieures à 73 milliards. Sachant que plus de 50% du budget iranien provient de ces revenus, il est évident que le pays en sera affecté.

 

Qui va acheter le brut iranien et ses produits raffinés ?

 

Les États-Unis et l’Union Européenne ont émis des directives à ce sujet, mais elles ont quelquefois confuses et parfois contradictoires ; ainsi, Washington a d’emblée partiellement exempté sept pays, dont la Corée du Sud, Taiwan, le Sri Lanka et l’Inde, qui ne se privent pas pour s’en procurer. Le Japon suit le boycott…et le mois suivant n’y adhère plus ! L’Afrique du Sud, acheteur plus discret, reste néanmoins un client important. Certes, l’Iran est obligé de consentir des rabais occultes pouvant aller jusqu’à 20%. Certains pays d’Amérique du Sud ont signé des accords d’échanges de produits agricoles contre des produits pétroliers.

Le principal courtier iranien en pétrole s’est installé en Chine en juillet !

Quant au Royaume Uni, après avoir demandé des délais sur la date d’application des sanctions, ce pays est maintenant d’une remarquable discrétion sur sa politique actuelle.

Singapour n’a pas d’états d’âme : bénéficiant d’une discrète dérogation américaine (en mai) , la majeure partie des produits raffinés utilisés pour les soutes, alors envoyés à Fujahirah, a été redirigée vers Singapour, un des principaux centres mondiaux pour la fourniture des soutes. En août, nouvel achat de deux millions de barils.

La Turquie, un des principaux acheteurs, a officiellement réduit ses importations de façon importante ; officiellement seulement, car en temps que voisin immédiat, il est assez facile d’importer sans vraiment attirer l’attention…

Problème : il faut transporter ce brut, ce qui s’avère un exercice particulièrement difficile, comme on va le voir…

 

L’Iran armateur

 

Commençons par le transport citernier : la N.I.T.C. (National Iranian Tanker Company) arme 43 pétroliers, presque tous des VLCC (Very Large Crude Carriers) et même un ULCC (Ultra Large), acquis récemment. Sept autres doivent être livrés prochainement par des chantiers chinois. Ils sont en théorie la propriété de fonds de pensions iraniens, mais l’état en conserve la gestion totale.

Les I.R.I.S.L. (Islamic Republic of Iran Shipping Lines) contrôle une flotte d’environ 150 navires (les chiffres varient), principalement des porte-conteneurs et des cargos. L’armement a en commun avec la Shipping Corporation of India  (Irano-Hind) 7 navires (pétroliers et minéraliers), mais il semble que les jours de cette dernière société soient comptés.

Ces bateaux peuvent servir les échanges maritimes iraniens, certes, mais il n’est pas très bon de le faire sous le pavillon national, d’où un remarquable « jeu » du chat et de la souris, à savoir qui détectera (ou pas) quels navires appartiennent à l’Iran. Sociétés écran, immatriculations sous pavillons plus ou moins fantaisistes, tout y passe. Avec les moyens modernes de détection et les banques de données précises disponibles sur la toile, on a tôt fait de repérer que le m/s YYYY est en fait l’ex XXXX, maintenant possédé par une société domiciliée aux Îles Cayman ou ailleurs, faux nez plus ou moins discret. L’Iran a toujours un petit temps d’avance, mais jamais très longtemps…

Certains navires iraniens vont même jusqu’à couper leur AIS (système de repérage par satellite) pour cacher leur position, pour autant que ce soit possible, car les constructions récentes l’intègrent dans le circuit général de l’électronique du navire.

Visiblement, une bonne partie de la flotte pétrolière est immobilisée et sert en fait de stockage flottant ; c’est un très mauvais signe, synonyme de marasme (souvenons-nous du milieu des années 1980…)

Néanmoins, le 24 août, un VLCC de propriété iranienne faisait route vers Singapour, chargé de fuel.

D’autre part, de nombreux écueils apparaissent :

-Les sociétés de classifications arrêtent progressivement de travailler avec l’Iran, du moins celles de bonne réputation

-Certains chantiers suivront les directives des sanctions, par crainte de se voir mettre à l’index.

Certes, l’Iran possède ses propres installations, mais leur approvisionnement en aciers spéciaux et en pièces de toute nature devient de plus en plus difficile.

-On est même allé jusqu’à vouloir empêcher les navires de prendre des soutes faites à partir de brut iranien, ce qui n’est pas vraiment réaliste, étant donné la complexité du système, car il est quasi impossible de savoir si certains composants utilisés ont été faits à partir de produits iraniens.

 

L’état assureur

 

Depuis le premier juillet, les sanctions se mettent en place, et parmi elles, la pression sur les assureurs et les P&I Clubs, qui garantissent les dégâts causés aux tiers (marée noire, etc.)

Un seul désastre  pétrolier peut coûter des centaines de millions, euros ou dollars. L’Exxon Valdez aurait causé un préjudice dépassant 7 milliards de dollars !

Sachant que ce marché est principalement contrôlé par des assureurs et Clubs européens,  assurer les pétroliers et leur cargaison de brut  devient un exercice parfois complexe, si celle-ci a été chargée en Iran. Il fallait donc y remédier.

En soi, rien d’extraordinaire : De nombreux pays assurent les sociétés étatiques, comme les compagnies aériennes, les chemins de fer, etc.

L’Iran, fort de ses milliards, s’est maintenant engagé à fournir une couverture d’assurance…pour 50 millions de dollars par chargement, comprenant le navire, sa cargaison et les éventuels dégâts collatéraux, montant notoirement insuffisant ; il faudrait au minimum vingt fois plus. Les armateurs étrangers ainsi « couverts » ne sont pas vraiment tranquilles. Le Japon couvrira ses armateurs à concurrence de 7,6 milliards de dollars. La Great Eastern Shipping Co., société indienne privée, s’est vu intimer l’ordre de charger du brut iranien sur ses navires (sur quelles bases ?). L’armateur refuse, indiquant qu’on lui propose une assurance à 80 000 dollars par voyage, beaucoup trop chère…Non seulement la couverture fournie par les assureurs iraniens est inadéquate, mais encore quelles garanties a l’armateur que l’Iran tiendra ses engagements en cas de sinistre : n’oublions pas qu’il s’agit d’un pays qui n’est guère connu pour son respect  des engagements commerciaux, des lois internationales et des conventions diplomatiques…

 

La fin du maritime en Iran ?

 

Certainement pas.

Envers et contre tout, l’Iran continuera à exploiter ses flottes de navires. Ce sera plus difficile, plus cher et de toutes façons, il faudra bien assurer son commerce extérieur, très dépendant du maritime ; les principaux armateurs de lignes conteneurisées ont progressivement cessé la desserte des ports iraniens au profit de la voie terrestre, car tout le monde n’est pas fâché avec l’Iran et la contrebande, si risquée soit-elle, peut rapporter gros.  Mais des dizaines de navires chargés de céréales font route vers les ports iraniens, avec ou sans la bénédiction des nations participant aux sanctions.

Une interdiction, quelle qu’elle soit, finit toujours par être contournée, mais les finances iraniennes seront mises à mal et chaque navire en circulation coûtera une fortune. Combien de temps l’Iran pourra-t-il entretenir ses danseuses sans faire de concessions ?

Nul ne connaît vraiment la réponse, mais quoi qu’il en soit, le sort de la flotte iranienne, qui n’est qu’au 60e rang de la flotte mondiale, ne saurait avoir que peu d’influence sur les taux de fret…

 

 

 

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